« Le Théâtre de l’Opprimé est une méthode théâtrale parfaitement normale, comme celles de Konstantin Stanislavski, de Bertolt Brecht, et de bien d’autres. »
Augusto Boal

Le Théâtre de l’Opprimé·e

Art et politique

La pratique du Théâtre de l’Opprimé·e a surgi dans une période de résistance politique face à la dictature mise en place au Brésil au début des années 1970 et avait donc une visée révolutionnaire de type insurrectionnel. C’est pour cela qu’on peut trouver des liens avec le théâtre d’agit-prop, puisqu’il vise lui aussi à résister à un système imposé, et à en libérer les individus grâce au théâtre. Mais la différence primordiale est que le Théâtre de l’Opprimé·e n’apporte aucune réponse. Ce n’est pas un théâtre dogmatique qui cherche à transmettre une idéologie, mais bien au contraire, il tente de pousser chacun à devenir créateur de sa propre libération.

« Le Théâtre de l’Opprimé a deux principes fondamentaux : premièrement, aider le spectateur — être passif, réceptif, dépositaire — à se transformer en protagoniste d’une action dramatique, en sujet, en créateur, en transformateur ; deuxièmement, essayer de ne pas se contenter de réfléchir sur le passé, mais de préparer le futur. Assez du théâtre qui ne fait qu’interpréter la réalité : il faut la transformer ! » Augusto Boal

L’objectif du Théâtre de l’Opprimé·e peut être défini comme « une répétition de la révolution », c’est-à-dire la préparation d’une action future dans la réalité pour déclencher un changement. Pour rendre cela possible, ce nouveau genre de théâtre s’appuie sur des techniques particulières, comme le Théâtre Forum, le Théâtre Image, Théâtre Invisible, Théâtre Législatif, etc. Le Théâtre de l’Opprimé·e se considère comme un outil au service des changements politiques et sociaux.

Du théâtre à la transformation sociale

Lors du Théâtre Forum, la spectatrice ou le spectateur est désormais baptisé « spect-actrice » ou « spect-acteur » puisqu’elle ou il est appelé·e à monter sur scène pendant la représentation en tant qu’« actrice » ou « acteur ». Même si tout le monde ne monte pas sur scène, dans le public chacun·e est amené·e à ressentir la possibilité de le faire, le potentiel d’action qui existe en chacun de nous. Cette répétition du changement par le jeu inciterait à devenir une « actrice » ou un « acteur » de sa propre réalité, et à lutter contre les oppressions subies.
Aujourd’hui, certains groupes en Europe utilisent aussi cette technique en refusant la filiation avec le Théâtre de l’Opprimé·e et son analyse politique des rapports de dominations. Dans la plupart des cas, ils affichent faire du Théâtre Forum et sont plutôt proches soit d’une démarche de prévention (sanitaire, sociale, des addictions, etc.) soit du courant du développement personnel, avec une lecture inter-individuelle des conflits qui omet l’analyse sociologique des rapports humains. Le Théâtre Forum a aussi été détourné comme technique de management dans les entreprises.
Mais en France, les groupes se reconnaissant dans sa démarche se sont regroupés sous la forme du Réseau National du Théâtre de l’Opprimé.
Et en Inde, le Jana Sanskriti a réussi le défi de créer des groupes de « spect-actrices » et de « spect-acteurs » qui se réunissent après les représentations et se nomment « les comités de défense des droits humains ». Ils décident alors de mettre en place des actions concrètes dans leurs villes et leurs villages, agissant en tant qu’« activistes », ou pourrait-on dire des « spect-activistes » qui en tant que citoyen·nes militant·es, aboutissent à transformer leur réalité sociale, et ce en partie grâce à la pratique du théâtre.

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Dessin : Géraldine Doat

Augusto Boal, fondateur d’un réseau mondial

Augusto Boal, brésilien, est le directeur artistique qui a fondé la pratique du Théâtre de l’Opprimé·e. Après le coup d’État de la droite brésilienne, il endura la prison et la torture avant de s’exiler en France. Il continua d’y développer ses techniques innovantes puis il les a diffusé en animant des ateliers, en donnant des conférences, en sensibilisant des professeur·es, des psychothérapeutes, des prisonnier·es, des actrices et acteurs, des travailleuses et travailleurs de tous champs. Il a écrit plusieurs livres dont « Jeux pour Acteurs et Non-acteurs » qui est devenu une référence internationale et a essaimé bon nombre de groupe dans le monde entier. Au Brésil, il a crée le premier Centre de Théâtre de l’Opprimé (CTO) à Rio.
En Inde, ce livre inspira Sanjoy Ganguly, fondateur du Jana Sanskriti, une des plus grande organisation de Théâtre de l’Opprimé au monde. Selon lui, cette pratique permet d’établir une relation de dialogue, qui peut remplacer la culture du monologue.

C’est-à-dire créer un processus d’échange dans lequel acteurs et spectateurs collaborent plutôt que de laisser un seul individu qui détient le pouvoir de la parole, ou plusieurs individu qui parlent chacun à leur tour mais ne s’écoutent pas. C’est la grande différence avec le théâtre de propagande qui impose son analyse avec une solution toute faite : on y adhère ou on n’y adhère pas. La spectatrice et le spectateur sont ici considéré·es comme une personne ayant la capacité de penser, d’agir, et donc de réagir face à une situation qui lui est présentée. Les artistes ne sont plus les seul·es à pouvoir s’exprimer en public, tout le monde est invité à participer au débat.
Le Théâtre de l’Opprimé·e semble être un mode efficace pour permettre l’empowerment, c’est-à-dire l’implication des personnes concernées par la valorisation de leur capacité d’agir. L’art permet d’être un porte-voix, de donner la parole, contrairement à un art dominateur réservé à une élite.

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